 |
L’instrument de
musique dans la
céramique de la Grèce antique
Université
de Lyon II Publication de la bibliothèque Salomon Reinach
Daniel Paquette « extraits »
|
Préface
…" c’est donc
un champ considérable qui s’offre aux rares musicologues désireux d’aborder
une telle investigation. Nous disons bien « musicologues » .
Car , si la synthèse définitive devra bien un jour ou l’autre devenir
une tâche collective où leur apport se fondra avec celui des hellénistes
purs, des historiens, des archéologues, et peut-être d’autres encore,
un tel syncrétisme serait sans doute prématuré tant que chacune de ces
disciplines n’aura pas accompli, dans son domaine propre, le travail préliminaire
sans lequel l’alliage terminal courrait le risque de craquer sous l’accumulation
des pailles.
C’est dans cet esprit
que, après avoir soutenu en 1968 à Dijon une thèse de troisième cycle
dédiée principalement à l'utilisation
des instruments de musique entre dieux et hommes d’après leur iconographie,
Daniel Paquette put dix ans plus tard présenter avec succès devant un
très ‘pluridisciplinaire ' jury de doctorat d’état à l’université
de Paris-Sorbonne un travail considérable dont la présente publication
ne constitue qu ‘un extrait..
....Quant aux
musicologues, ils apprécièrent particulièrement le soin mis à scruter,
dans ce riche réservoir de documentation, maints détails de facture ou
de mode de jeu que seul un musicien était à même de remarquer : citons,
pour la seule famille des cordes pincées, non seulement la forme, la matière
ou le nombre de cordes, que chacun eût bien sûr noté, mais aussi le mode
d’attache du baudrier et des cordes, la façon d’accorder ces dernières,
la position du chevalet ou du sommier sur la table, la répartition des
rôles entre le plectre et les doigts, la position des mains et des doigts
en action, etc. Dans cet examen minutieux apparaissent des singularités
auxquelles on n’avait prêté que peu d’attention, telles que la présence
d’ouïes ou même de rosaces
centrales sur la table d’harmonie, le constant décalage des bras sur la
caisse de cithare, et surtout le rôle mystérieux
de cette singulière spirale dont le dessin est trop constant pour
n’être pas réel et dont on ignore non seulement le rôle , mais jusqu’à
la matière, puisque aucun spécimen n’a survécue jusqu’à nous…"
 |
Il est difficile de
préciser le rôle de ce rond noir percé de cercles blanc qui figure
sur la caisse. S'agit-il d'ouïes? Dan ce cas, on peut évoquer la "rosace",
cette ouïe centrale des luths de la renaissance et de l'aga baroque.
Peut-être est-ce de la marqueterie? |
 |
La Muse Terpsichore joue d’une harpe en étrier
.L’instrument se compose d’une caisse presque verticale, arrondie
en crosse à son extrémité, et sur laquelle de petits ronds équidistants
figurent les rivets où s’accrochent les 9 cordes visibles (15 au
total d’après le nombre de rivets). Elles ont une disposition en
diagonale très favorable à l’attaque des doigts. La caisse semble
constituée par deux planches accolées entre lesquelles sont fixées
les cordes. Manque le support que constitue ordinairement la colonne.
|
Avant-
propos de Daniel Paquette
…
"Je me suis engagé dans l’étude systématique
des instruments de musique tels qu’ils sont fréquemment représentés
sur les vases grecs. La documentation est extrêmement riche. J’ai
abordé l’examen de
plus de 1500 illustrations du strict point de vue de l’organologie,
en essayant d’en extraire
les renseignements qu’elle nous fournissent sur la facture des instruments,
leur jeu et même d’après leurs proportions (autant qu’on puisse
en juger) leur sonorité.
On
peut s’interroger au préalable, sur le degré de précision que l’on
peut attendre de représentation dues à des céramistes, qui n’étaient
pas nécessairement des instrumentistes compétents. Mais la comparaison
des nombreuses figurations de
l’aulos, de la lyre, de la cithare où se retrouve les même détails,
les mêmes assemblages prouve que les peintres, compte tenu de certaines
négligences ou étourderie, sont dans l’ensemble fiable et même étonnamment
précis. …
Mais encore une fois , la masse des documents examinée avec
la prudence et l’esprit critique indispensable, prouve que
les peintres , vivant dans une civilisation où la musique, dès l’école,
tenait une si grande place, ont en général représenté les instruments
avec fidélité tant dans les proportions que dans les détails de
la facture.
Dès
le milieu du second millénaire, le peintre du sarcophage d’Hagia
Triada savait représenter en connaisseur une cithare et un elymos.
En revanche, le schématisme propre aux vases de style géométrique
limite considérablement la valeur documentaire d’un instrument que
l’on n’utilisera guère aux époques plus récentes : La phorminx.
Avec la céramique à figure noires du VIe siècle commencent les séries
abondantes, variées de détails précis, des représentations d’instruments.
On constate que, dès ce moment, l’aulos
et
la cithare sont fabriqués
selon une factures qui ne variera pour ainsi dire pas dans les
siècles suivants. Mais c’est avec les vases à figures rouges
que, dès la fin du VIe siècle , nous abordons la documentation de
beaucoup la plus sûre. Les dessins sont d’une telle finesse, les
peintres animés d’un tel soucis de vraisemblance et de perfection,
que la constance et la présence de certains détails de facture ne
peuvent qu’être l’image d’une
réalité instrumentale bien connue des artistes. La netteté des traits,
l’importance des représentations musicales rendent alors possible
de définir certaines lois acoustiques ou organologiques touchant
par exemple à la cithare
ou à
l’aulos.
Les céramiques
apuliennes
et campaniennes
du IVe siècle révèlent certaines transformations dans la facture
des instruments anciens et l’apparition d’instruments nouveaus,
comme la harpe,
instrument féminin par excellence. D’autres, bizarrement , s’hybride,
telle la cithare-lyre.
… Reste un
problème qu’il était difficile d’aborder sans le secours d’un philologue :
celui du nom des instruments, qui n’est jamais inscris sur les vases….
Un consensus
s’est établi sur le fait que la lyre résonne grâce à une carapace
et la cithare grâce à une caisse en bois…."
|
Les
instruments a cordes La
Harpe
 |
Concert de cithare
mixte et de harpe en étrier. Les instrumentalistes sont probablement
des femmes ou des Muses. La harpe de forme ovale tronquées possède
au moins cinq cordes. La harpiste utilisa un plectre, ce qui fait
penser qu'elle accompagne le ou la cithariste, car ce type de jeu
permet avant tout un battement rythmique sur les cordes. La scène
montre soit Apollon accompagné par deux muses, soit un concert au
gynécée; dans ce cas la représentation d'une femme jouant de la cithare
est un fait assez exceptionnel. |
 |
La
panse du vase s'orne d'une harpe en étrier dont la colonne prend la
forme d'un héron stylisé |
 |
Origine :
L’idole de
marbre de Kéros atteste l’existence dès le IIIe millénaire de la
harpe trigone dans les Cyclades ; cet instrument est également
représenté dans l’art de Sumer (bas relief en Calcaire (XXIV e s.),
ruines sumériennes de Lagash (musée du Louvre) et de l’Egypte (peinture
d’une tombe thébaine de la XVIII dynastie (New-York).
|
Ces
éléments de construction correspondent à des destinations précises et
donnent naissance à des types instrumentaux dont les principes organologiques
différent fortement.
Selon
la terminologie utilisée par Max Wegner , les harpes se classent ainsi :
Harpe en étrier harpe trigone, harpe en fuseau
et la harpe naviforme.
La
harpe en étrier
Ainsi nommée à cause
de sa console en arc de cercle, se compose soit de deux pièces soit de
trois. La console est le plus souvent décorée, à sa périphérie d’un ornement
en forme de crête, parfois terminée par une tête d’oiseau. Rares sont
les harpes dépourvues de cet ornement telle
et dont la console se recourbe en forme de « crosse ».
La console est parfois incrustée d’un motif en forme de perles et pirouette,
de flots ou d’ornement divers.
Sa colonne est une
barre solide ou au contraire une fine baguette. Sur la harpe de luxe figurée
sur un cratère de Gnatthia et sur un lécythe du cabinet des Médailles,
elle est exceptionnellement sculptée en forme d’échassier.
Le joug est un bois
effilé ou large se terminant parfois en forme de molette. Les cordes s’y
accrochent par le système de collopès , laçage ou d’anneaux. Quelquefois
le joug est double. Dans ce cas, la tige supérieure sert à accrocher les
cordes.
Peut-être pouvait-elle
pivoter sur elle-même pour modifier leur tension. Maurice Emmanuel pense
que le joug supplémentaire permettait de tendre un deuxième rang de cordes ;
mais cette hypothèse est infirmées par les peintres qui ne figurent jamais
rien de pareil. Il semble plus probable que la tige inférieure reposent
sur la jambe gauche de l’instrumentaliste avait pour utilité de servir
de support à l’instrument et par conséquent d’assurer une meilleure stabilité.
Ce type de harpe,
le plus fréquent, correspond à la sambyque citée par Aristotedont l’origine
paraît bien être égyptienne. Dans l’Egypte ancienne en effet, l’instrument
est souvent représenté sur les monuments ; il est de taille
considérable (parfois à hauteur d’homme)
La harpe trigone
Cette harpe est celle
que tient la statuette de Kéros. Elle apparaît dans la céramique grecque.
Le cadre est un triangle rectangle dont l’angle droit se trouve du côté
opposé au musicien. La colonne et la console , étant donnée leur épaisseur,
ont probablement toutes deux un rôle de caisse de résonance. Ainsi, cette
harpe possédait vraisemblablement une forte sonorité.
La harpe en
Fuseau
Bizarrement , la
console, sorte de caisse fuselée, forme l’hypoténuse du triangle rectangle
que constitue de cadre. C’est la colonne, et non plus la console, qui
se trouve tenue contre la poitrine de la harpiste. Le joug est constitué
d’un simple tige. Rares en sont les représentations.
La harpe naviforme
Elle est certainement
d’origine égyptienne. La grande harpe fut l’instrument privilégié de ce
pays, mais de nombreux spécimens de petites harpes, à manche courbe et
caisse oblongue, ont été retrouvés dans les tombes.
Ce type d’instrument
, intermédiaire entre le luth et la harpe, par son manche et sa caisse
en nef renversée, ne figure qu’une fois sur un lécythe à fond blanc. Il
est vraisemblablement l’ancêtre du luth grec dont une statuette de tanagra
et le bas relief des muses de Mantinée nous ont conservé l’image. Ce type
d(instrument existe encore en Afrique
Les Cordes
A l’exception de
la harpe naviforme, qui en compte peu, tous ces instruments possèdent
un nombre de cordes compris entre 7 et 20, le plus souvent entre 9 et
15 chiffres également réparties sur tous les modèles. Pour un ambitus
de 2 octaves avec note défectives, il faut un minimum de 14 cordes. On
compte de manière très approximative et on
aboutit donc à une moyenne de 15 cordes pour la harpe grecque (couvrant
ainsi l’ambitus de la voix humaine)
Elles sont fixés
au cadre à l’aide de collopès d’anneaux ou ressorts circulaires de taquets
part laçage. Toutefois on peut envisager l’hypothèse selon laquelle les
taquets par rotation du joug viendraient prendre appui contre les cordes
(à la façon des fourchette de nos harpes modernes.) pour en modifier la
hauteur.
L’accord
Sur les harpes en
étrier , le joug se coince par rotation, dans le bâti de la caisse, comme
une cheville de violon dans la « crosse », sur les trigones,
par laçage de chaque corde sur le joug, quant aux harpes en fuseau et
harpes naviforme, on ne voit pas comment l’accord s’opérait.
Jeu
et tenus
Le jeu est identique
à celui de nos harpes modernes. Les deux mains agissent séparément ou
ensemble. Elles tirent les cordes avec les cinq doigts recourbés en éventail
ou arrêtent les vibrations du plat de la main selon le geste bien connu
des harpistes.
L’instrumentiste
tire une corde entre deux doigts pour obtenir un claquement sec ou provoque
l’émission d’harmonique (que les harpistes nomment flageolets) en plaçant
le gras du pouce ou de l’index au centre de la corde, la main droite la
pinçant.
L’effet spécifique
du glissando de la harpe semble apparaître .On retrouve la manière dont
les mains passent alternativement l’une au-dessus de l’autre pour gratter
les cordes.
Le bisbigliando est
peut-être suggéré .
Le jeu psalmique
demeure essentiellement utilisé , mais le plectre est parfois visible.
Son rôle
Sur
les vases grecs, la harpe est maniée exclusivement par les femmes. Elle
fait partie, comme le coffre ou le miroir, du mobilier du gynécée. Toutefois
sur un vase de Kertch, un silène barbu gratte cet instrument , mais,
c’est peut-être de la part du peintre , le recherche d’un effet comique
par contraste ; sinon un allusion à quelque drame satyrique.
On trouve la harpe
aussi bien entre les mains divines des Muses, qu’entre celles de femmes
vêtues (donc présumées honnêtes) et de femme dévêtues, courtisanes accompagnatrices
des joies du banquet. La musique de la harpe revêt d’ailleurs un caractères
nettement érotique.
Y a-t-il une spécificité
dans l’usage de tel ou tel type de harpes ? Sur une vingtaine de
représentations, trois sont des harpes trigones, trois des harpes en fuseau :
une seule est naviforme. En revanche la harpe en étrier paraît la plus
commune et la plus en faveur, elle figure surtout dans des scènes de gynécée.
Quand à la harpe trigone, on l’aperçoit dans les scènes
à tonalité dionysiaque, et la harpe en fuseau dans les scènes à
tonalité matrimoniale, de la harpe naviforme ,représenté sur un seul
vase on ne peut rien préciser sinon sa rareté. Enfin , les harpes à consoles
crénelées ne figurent que sur les représentations les plus récentes, celles
des vases de l’Italie méridionale du IV siècle.
Terminologie
Le nom grec de la
harpe nous est inconnu. Peut-être est-ce le trigonon citée par Athénée
?
Des nombreux instruments
multicordes cités par Pollux quels sont ceux qui doivent être attribués
aux harpes représentées sur les vases ? Il est possible, tout au
plus, d’en dresser une liste succincte.
La pectic est souvent
associée à la magalis , comme elle d’origine
lydienne. Elle permettrait de jouer à l’octave. Sappho passe poour
avoir été la primière à s’en servir. Son diaposon étant aigu.
La magalis est d’origine
lesbienne, avec 20 cordes doubles. Elle donne son nom à l’accompagnement
en octave ; magaliser (Aristote)
La sambyque (ou lyrophoenix),
serait la grande harpe égyptienne en croissant.
L’épigoneion à 40
cordes, le sémikion à 35 cordes permettaient d’obtenir des changements
rapides de modes ) l’époques
hellénistique. La nablas, harpe d’origine phénicienne possédait 12 cordes.
Il faut ajouter les
termes de clepsiambe, de spadix mais quelle que soit la terminologie,
les instruments à cordes nombreuses sont condamné par Platon.
Les pandoura et scindapse,
luths dont aucune représentation céramiques n’est venue jusqu’à nous,
ont existé puisque les sculptures témoignent de leur présences.
Tous ces instruments
sont caractérisés par leur grand nombre de cordes et leur tessitures aiguë.
Il n’est pas possible de les identifier de façon plausible sur les représentations
céramique du IV siècle.
|