Instrumentarium
"Extraits du Livre Instruments à cordes du Moyen-age" -Acte du Colloque de Royaumont 1994-
Instrumentarium

Harpe, architecture harmonique...

d'Yves D'Arcizas

Les proportions harmoniques constituent les bases de la conception des outils musicaux, qu'il s'agisse de favoriser les bases de l'intérieur vers l'extérieur dans le cas des instruments de musique, ou de l'extérieur vers la communauté dans celui de l'édification de la nef..

 En publiant plus tard la Divine Proportion, Luc Pacioli ne prétend pas innover mais propose une connaissance datant de l'Antiquité, transmise et enrichie et surtout orales jusqu'à son temps. Vous devez toujours vous en tenir au carré et au cercle comme étant les deux principales formes obtenues par les deux lignes droite et courbe. Et si vous ne pouvez entièrement faire le carré et le cercle complet, vous prendrez toujours une ou plusieurs parties connues de ceux-ci, c'est a dire la 1/2, le 1/3, les 3/4, les 2/3, etc... de leur contour ou de leur diamètre et les proportionnerez toujours le plus possible selon les quantités définies qui se puisent exprimer par un nombre. Outre les proportions harmoniques , il rappelle à des architectes qui ignorent la numération décimale, une règle omniprésente dans la construction médiévale.

Dans la pratique, les valeurs attribuées aux notes sont directement converties dans les différentes systèmes de mesures (tous duodécimaux comme la division de la gamme en demi-tons): pouces pour les longueurs de corde ou de tuyau, onces pour les tensions ou les masses de bois, métal ou pierre, et. Pour la majorité des instruments à cordes n, le point de départ est la chanterelle faite d'un boyau de un pied et son octave de 6 ou 24 pouces. La note de référence est par contre très variable, du A des Ancien, ou ajouté par les Moderne, etc... tout comme les valeurs du pouce qui peuvent aller du simple au double.

La harpe doit ainsi offrir une structure stable et fiable, apte à recevoir des cordes tendues que représentent les différents degrés de la division du monocorde. Les longueurs et espaces entre les cordes, sont proportionnés entre l'angle de la caisse et la courbe des chevilles en respectant au plus juste ces divisions. Les masses des différentes pièces et le vide de la caisse sont ensuite soigneusement répartis selon les mêmes principes pour que l'ensemble rende une parfaite harmonie.

 

Aucune construction géométrique ne peut régir une disposition parfaite sur plusieurs octaves. Après avoir choisi le meilleur compromis, les variations de longueurs sont corrigées par les grosseurs, en utilisant  les mêmes proportions. Lorsque marin Mersenne traite d'instruments dont on a augmenté le nombre des cordes vers les graves d'une manière inusitée au Moyen-age, il ne s'écarte pas des principes de ses prédécesseurs: Bien que la tension puisse y suppléer, néanmoins l'harmonie sera plus parfaite si l'on observe les raisons harmoniques a la longueur et à la grosseur des cordes.

Les nombres , âme des choses, sont très abstraits et d'un maniement difficile avec le système romain. C 'est l'art de le règle et du compas qui règne en maître. L'entrée dans l'étude du Quadrivium ne vient qu'avec la possession des sciences du Trivium et le choix même des disciplines retenues montre assez qu'il s'agit alors d'acquérir un langage qui dépasse celui des mots. Le tracé apparaît comme une composition dont l'écriture ne tolère pas  plus d'approximation que celle d'un motet. A chaque phase, le choix d'une proportion peut asseoir ou altérer l'accord final. Seuls sont utilisés les rapports consonants et les tracés évoluent au rythme de l'acquisition des intervalles considérés comme harmoniques.

Certaines formules s'imposent pour leur clarté ou leur élégance: le double carré, Sistema Maximo, et certaines suites géométriques telle la construction de l'heptagone, image de la naissance des 7 notes. Le triple carré accompagne l'accroissement de la tessiture des instruments et pendant que les tierces se joignent aux consonances parfaites, se multiplient les tracés mettant en oeuvre la division de la circonférence en 5 ou même la proportion Dorée.

Mais l'accord reste un éternel compromis entre le désir d'harmonie, les intervalles nécessaires à sa modulation et la finesse de l'audition. La proportion est une égalité reconnue par la raison, dont l'usage conduit a chasser l'illusion de systèmes trop logiques. Comme l'expérimentent chaque jour les musiciens, toute méthode doit être polie par le pèlerinage de la pratique.

 
Gentile Bellini, Preocession sur la place Saint-Marc, 1496, Venise, Gallerie dell' Academia

 La tenue de la Harpe au Moyen Age 

Prof. Dr Walter Salmen

La facture ainsi que le maniement des instruments de musique au Moyen Age ont été conditionnés par les fonctions qu'ils devaient remplir. Les aspects organologiques ainsi que l'histoire des fonctions de la musique sont étroitement liés, en cela compris l'adaptation aux circonstances et les capacités des musiciens. Il y a avait d'une part les instruments de musiques fixes, comme l'orgues d'ailleurs, qui éteint le plus souvent joués par des musiciens en résidence et, d'autre part, les instruments portables qui pouvaient être utilisés par les musiciens itinérants ou les amateurs. Dans la dernière catégorie d'instruments, il faut ranger les harpes. Elles seront comparées et classées du point de vue de leur maniement.

De nombreuses pratiques musicales au Moyen Age ne sont plus guère comparables à celles d'aujourd'hui. C'est ainsi, par exemple, que la musique de table, de théâtre ou de cérémonie ainsi que la musique religieuse étaient en règle générale jouées debout. Les ménestrels jouaient leur musique de danse debout et en esquissant éventuellement divers mouvements. Les musiques processionnelles étaient jouées tout en marchant.

Les musiciens en service accomplissaient leur tâches debout, afin de montrer de manière visible les relations de subordination dans la hiérarchie sociale. La musique en société et la musique de chambre , par contre, se jouaient le plus souvent assis, comme en témoignent les documents iconographiques. Ces coutumes différentes demandaient donc l'utilisation d'instruments de tailles différentes. Les instruments à cordes, tels que la viele, étaient non seulement frottés ou pincés dans différentes positions, mais ils étaient également joués et transportés avec ou sans sangle. Cette dernière étant une solution pour l'orgue portatif, qu'il soit joué debout, sans appui ou encore attaché à une courroie, afin d'accompagner les danses ou les processions, comme c'est la cas pour les tambours ou les vielles à roue. Pour les différentes types de harpes, y compris la Ala Bohemica, il y  avait également un maniement différent selon la taille de l'instrument et les circonstances dans lesquelles on le jouait. Ceci ressort de manière claire et détaillés des sources iconographique disponible.

Appuyer la harpe sur l'épaule droite ou la tenir contre la poitrine étaient les positions les plus courantes. Les harpes irlandaises, écossaise et galloise étaient, par contre, appuyées contre l'épaule gauche. Ce que nous prouvent non seulement les sources iconographiques mais aussi les traces d'usure retrouvées sur les quelques instruments qui ont survécu jusqu'a notre époque.

Les différents type de harpe étaient joués à une main ou à deux mains, à une voix ou à deux voix, voire en accords. En ce qui concerne la technique de jeu à une main, c'était toujours la droite et les documents apportent la preuve évidente de différences. Quand la strophe 699 du roman Salman et Morolf (1190)   parle d'un "musicien altier" qui porte une harpe allemande dans la main et qu'il joue en douceur, elle décrit une position que l'on retrouve également dans une miniature.

 

D'autres preuves encore: une miniature d'environ 1460 d'origine italienne, les anges musiciens sculptés du portal de la cathédrale de Strasbourg (XIVés) de même qu'une représentation du roi David à l'autel principal de l'Église Sainte-Marie à Danzig. Dans le cas d'un position debout, la main gauche soutient l'instrument dans le bas tandis que dans le cas d'une position assise avec l'instrument relevé, elle se trouve par contre dans le haut.

On peut conclure de certaines illustrations que les harpes de petit format étaient calées en-dessous du bras gauche afin de permettre aux deux mains de se mouvoir sur le plan de cordes.

Afin de pouvoir jouer avec les deux mains les harpes de tailles plus petite, on les appuyait sur le genou gauche. Le pied de l'instrument pouvait ainsi prendre appui sur le sac de transport dehoussé. Poser la harpe sur une table ou sur un tabouret était aussi en usage. Il était également courant, chez les femmes surtout , de caler l'instrument entre les genoux pour en jouer assis. Les harpes de taille plus grande étaient posées debout sur le sol et on en jouait assis. Ces positions ne permettaient donc qu'un usage statique.
Nous en retrouvons des représentations au Moyen Age telles que l'attitude symbolique du roi David sur son trône, les scènes d'une assemblées richement vêtue ou encore des concerts féminins à plusieurs voix.
Pour les musiciens itinérants et les mendiants ainsi que pour ceux que l'on appelait les joueurs de harpe populaires aux XVIIIe et XIXe siècles, il était courant de porter et de jouer les harpes sans pédales rattachées à une sangle, comme il ressort d'illustrations d'origine bavaroise ou italienne. Un vers de 1619, de la plume du poète napolitaine Gian Francesco Maja Materdona, rend compte de ce type de maniement selon lequel la harpe de la chanteuse Adriana Basile "al collo pende", c'est-à-dire qu'elle "pend au cou d'adriana". Cet usage est bien ancré dans la tradition et remonte jusqu'au haut Moyen-age. Le point d'attache à une courroie pouvait s'ancrer sur le haut, au milieu ou en bas.

Les illustrations disponibles témoignent également du double point d'attache de l'instrument à une sangle, au-dessus comme en-dessous

Comme les imprécisions de nombreuses représentations iconographiques sont notoires, nous devons compléter les détails de l'attache à une courroie, sinon il serait impossible de jouer de ces instruments avec les deux mains à la fois dans la position illustrées.

 

Peut-on tirer des conclusions au départ des constatations faites sur la pratique de la harpe dans les divers groupes sociaux au Moyen Age? Assurément oui, puisque la répartition des divers maniement recensés pour les différents sexes et pour les différents types de musicien est inégale. Des dominantes se lisent dans les multiples domaines d'action. Les harpes attachées à des sangles étaient celles adaptées à la manière de vivre, itinérante, des ménestrels. Ces musiciens jouaient non seulement devant les tables des dîneurs ou pour les danseurs mais aussi dans les rues, dans les établissements de bain et dans les tavernes. Dans les cas de processions an Angleterre au XVe siècle, la "mynstralcy of harp and lute" était aussi courante qu'à Nuremberg peu avant la Réforme, où le beau-père de Albrecht Dûrer, Hanns Frey, avait pour fonction de jouer comme citharicus in pompa corporis Christi. Au XVI e siècle, les preuves existent même en Amérique centrale et en Amérique du Sud que les conquérants espagnol incorporaient des harpes portables dans leurs processions. Par contre, pour les gentes dames des classes aisée ou noble, qui jouaient chansons et mélodies à la maison ou dans des jardins d'agrément,  cette manière de jouer ne convenait pas. Assises sur des bancs de gazon ou à des tables, elles pouvaient pratiquer leur instrument dans une position corporelle plus adéquate. On peut aisément conclure que le maniement de harpes munies d'une courroie est surtout répandu parmi les jongleurs et qu'il était probablement aussi une caractéristique sociale de cette profession peu estimées. Lorsque les artistes médiévaux représentent symboliquement des anges musiciens avec des harpes attachées a des courroies, cette iconographie assimile les anges à des Ministri Dei, ) des musiciens de cour.

Des conclusions claires à cette question complexe ne sont, à vrai dire, pas possible car les sources primaires et les instruments originaux manquent singulièrement. Les tentatives de conclusions esquissées ici n'ont pu l'être qu'à partir de documents secondaires.

Les instruments à cordes frottées et pincées, d'après les manuscrits conservés en Lorraine

Bernard Ravernel

Parmi les 114 illustrations de l'instrumentarium médiéval répertoriées dans les enluminures et miniatures des 30 volumes et de l'unique document exposé au Musée de Metz, 46 concernent les cordophones : 37 instruments à cordes pincées, et 9 instruments à archet, soit:

Harpe
Guiterne
psaltérion
luth
vièle
rebec
20
7
6
4
8
1

On peut noter que malgré le volume restreint de l'ensemble documentaire lorrain, les résultats sont proches des occurrences comptabilisées par Pierre Bec dans les textes  et confirment les convergences des résultats de l'iconologie et de la philologie dans le cades de l'organologie médiévale.

Cordes pincées -Harpe-

L'approche visuelle de chaque instrument permet, à partir d'un ensemble documentaire suffisant, de suivre son évolution dans l'espace et dans le temps, tout en cernant sa place et son rôle dans les scènes illustrées.

C'est la cas par exemple de la harpe, représentée 20 fois dans les manuscrits de la fin du XIIe siècle, au début du XVIé siècle. Elle est tenue par le Roi David (12 fois représenté, souvent dans les enluminures de la lettre B du psaume1, beatus vir), par des ménestrels (3 fois) des anges musiciens (2 fois), des animaux (2 fois) et par un enfant.

L'inventaire exhaustif et chronologique des manuscrits et pièce où on peut observer des harpes est résumé dans ce tableau.

Il est hors de propos ici, d'analyser et d'étudier en détail chacune des représentations de harpes (en raison du faible volume de celles-ci, il serait prématuré d'énoncer quelque conclusion hâtive) mais une remarque s'impose toutefois à propos du nombre de cordes observées: il varie de 5 à 12, réalité organologique confirmée par les textes; mais il est aussi hautement symbolique surtout lorsqu'il s'agit de la harpe du Roi David (6,7,9,12); rappelons aussi la symbolique de la corde, lien entre le terrestre et le divin: d'où la présence d'instruments à cordes accompagnant les autres thèmes bibliques tels que la Vierge et l'enfant, le couronnement de la vierge, ou encore les vieillards de l'apocalypse.